Le monde tangue dangereusement à travers ses grands yeux brumeux ; elle n'est plus vraiment sur Terre, pas vrai ?
Sa lèvre se mord à la blonde, ça la prend aux tripes ; c'est pas de la pitié, loin de là. Pitié n'aurait rien à faire dans pareille toile ; tout est d'une beauté tragique, d'une fragilité prenante. Ça lui serre la gorge, la retourne, à l'intérieur. Alors elle reste silencieuse, simple spectatrice de la comédie tragique qui danse avec la grâce de ces artistes qui n'ont jamais eu à prouver quoique ce soit au monde. Elle reste là, Shizu, silencieuse devant la décadence d'une âme parfaite et abîmée. D'une âme qui n'a plus rien à perdre, qui se joue des regards qui la jugent, qui se joue de tout pour briller de son sombre éclat ; elle est là, sur ce parquet, sur les pointes et drapée de sa violence, de sa délicatesse, de sa beauté.
Et ça la bouffe.

C'est comme voir un autre monde, les grands fonds, une autre dimension qui vous change radicalement ; qui vous fait grandir, peut être. C'est comme lui. C'est beau et tragique, c'est fascinant et révulsant ; pourtant elle se surprend, là, à tendre les mains. Elle et là, et elle aussi, devant cette porte close, cet énième refus, cet autre rejet ; et elles sont là, face à face, et elle est là, ses mains tendues d'enfant cassée qui veut réparer cette âme fêlée. Elle est là Alice, à vouloir la sauver ; elle est là Alice, à tendre ses blessures au bout de ses doigts.

Elle ne l'a pas vraiment voulue, Mélusine ; elle s'est imposée à elle, elle s'est imposée dans sa tête, dans son bide. Elle n'a pas vraiment voulu transposer son image à celle de son spectre ; c'était hors de son contrôle. Elle voulait la sauver ; quelque chose comme ça. Et elle lui répondu, Mélusine ; de cette voix à l'accent chantant, de ces gestes souples et désordonnés.

Elle fait si mal, sa troisième étoile ; mais elle est si belle, Gretel.

***
C'est au tournant d'une rue qu'elle l'a retrouvée ; cette amie qu'elle n'avait plus vue depuis si longtemps, sa quatrième étoile inattendue.
Sacha.
Cette gamine au sourire timide, aux yeux de biche et aux mains tremblantes. Sa meilleure amie, quand elles courraient encore dans les couloirs de l'orphelinat, quand les grands étaient tous des méchants ou des indifférents. Elle l'a retrouvée, serveuse dans un petit café où elle s'était installée par pur hasard ; elle lui aurait volontiers sauté dessus, d'ailleurs – ce qu'elle a plus ou moins fait, au final.

Sacha, elle écrivait des musiques ; et c'est en parlant d'un peu tout et rien, heureuses de se retrouver, qu'elle a finit par évoquer le sujet – information qui n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Plus tard, elle lui a chanté quelques uns de ses morceaux – sa voix lui a immédiatement plu, tout comme ses textes. Alors elle lui a proposé de quitter ce petit job de serveuse pour se lancer sur le devant de la scène ; et c'est timidement – puisque tout est timide, fébrile, avec Sacha – qu'elle a finit par accepter.

Ainsi, sa quatrième étoile était la première, celle avec qui elle riait aux éclats avant même que son histoire ne commence.


VII. BRILLE !
Shizu s'écroule sur le canapé, secouée d'un rire incontrôlable ; elle est claquée, brûlante et hystérique. Elle resterait bien une heure ou deux de plus à se déchaîner sur scène ; en même temps, son corps la supplierait presque de ne plus bouger de ce divan. Elle lance un regard complice à Sacha, tout aussi exténuée, avant de se redresser et de tomber sur les billes claires de Mélusine. Ashley pousse un cri de victoire alors que Biggi laisse éclater un rire elle aussi, dans lequel perce la fatigue ; elles sont toutes dans cet état d'euphorie mêlée à une fatigue physique incroyable. Si leur esprit pourrait y retourner, leur corps leur dit « stop » ; et ce serait presque cruel !

Mais c'est qu'elles brillent, qu'elles vibrent, quand elles sont sur scènes ; toutes autant qu'elles sont, malgré leurs différences ; la maladroite Biggi, la violente Ashley, la pulpeuse Mélusine, la timide Sacha, la lumineuse Shizu. Blanche Neige, le Chaperon Rouge, Rapunzel, Gretel ou bien encore Alice ; elles sont toutes sous les mêmes couleurs, acclamées par les mêmes voix qui s'époumonent en cœur tandis qu'elles leur livrent leurs âmes sur un plateau. Et c'est une magnifique communion, chaque fragment de rêve quand elles montent ces marches qui mènent jusqu'à la lumière.

Il y a un peu moins d'un an maintenant naissaient les Shooting☆Stars ; elles sont désormais acclamées sur les scènes sur lesquelles elles se bousculent. Devant elles, un avenir radieux ; des possibilités en groupe et seules. Une vie plus qu'heureuse, satisfaisante aux yeux de la blonde qui sourit de bonheur, là, sur son canapé, en vrac. Et puis Alvaro qui rentre, qui les félicite ; un regard complice et elle s'empresse d'aller s'effondrer dans ses bras ; elle se laisserait bien bercer là pour ce soir, Shizu.

Que dire de plus ? Au fond, elle est sûre qu'elle pourrait tout affronter à présent ; forte de cette assurance, de ce petit monde qu'elle chérit tant et qui l'entoure.
Et elle continue de rêver, de briller.